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Article: Parfums enflammés

Parfums enflammés

Parfums enflammés

Des pots parisiens aux dernières versions des grandes marques de luxe, les bougies parfumées allument toujours plus d'intérieurs

par Emilie Veillon | collages: Nausicaa Planche

 

Parfums enflammés

On a peut-être tous déjà croisé la version vanille ou chocolat qui clôt le long dédale de cou- loirs d’un magasin Ikea. Ou senti chez un ami une rareté trouvée dans l’un des bazars chics de Paris, Londres ou New York. Chacun cherche sa bougie parfumée. Et ce sillage s’étend désormais à toutes les sphères du marché: des collections maison de Zara aux écrins luxueux des grandes marques telles

que Dior ou Louis Vuitton, en passant par les versions les plus naturelles comme celles du Jardin des Monts ou les créations pointues de Cire Trudon et Baobab Collection.

Tantôt objet de décoration ou chef-d’œuvre odorant selon la qualité des démarches de fabrication et des ingrédients qui les composent, ces bougies suivent les mêmes pistes que les familles olfactives des parfums de peau. Boisées pour le salon. Florales pour la cuisine. Musquées pour la chambre à coucher. Ou l’inverse. Un grand brassage d’odeurs qui varie au fil des saisons et des humeurs. Car on prête à ces flammes d’ambiance des vertus relaxantes. Le pouvoir de teinter nos intérieurs d’une atmosphère de chalet où crépite un feu de cheminée, d’un champ de roses centifolia sous le soleil de mai ou d’une forêt de sapins mouillée par la pluie.

 

CONFORT INTÉRIEUR

Les plus grands parfumeurs en ont fait leur terrain de jeu. A l’instar de Jacques Cavallier-Belletrud, qui a imaginé l’an dernier quatre bougies parfumées, L’Air du Jardin, Ile Blanche, Feuilles d’Or et Dehors Il Neige, pour Louis Vuitton. Dans des céramiques, signées du designer Marc Newson, qui se transportent d’une pièce à l’autre grâce à leur anse en cuir piqué à la main dans les ateliers de la maison. «Tout le monde veut une partie du luxe chez soi. Un sac est pour sortir. Un vêtement pour se préparer. La bougie griffée est une garantie du bon goût de la marque qui permet de faire entrer le raffinement dans son bien-être quotidien», analyse Alberto Morillas, maître parfumeur qui travaille pour les plus grandes marques par le biais de Firmenich.

Selon lui, le succès des bougies parfumées va de pair avec l’essor de la diffusion d’odeurs chez soi, dans les boutiques, les sièges d’entreprise et les hôtels depuis une dizaine d’années. Les parfums d’ambiance joueraient un rôle dans le sentiment de confort intérieur, et même sur l’envie de consommer ou d’acheter. «Pour autant qu’il reste subtil et limité à certains espaces, tempère- t-il. Il n’y a rien de plus intrusif qu’une bijouterie trop parfumée ou un hôtel qui diffuse son empreinte olfactive dans toutes ses chambres et son restaurant en plus du lobby. L’avantage avec une bougie réside dans le contrôle de l’émanation. On peut l’éteindre après deux ou trois heures, le temps qu’elle embaume la pièce.»

De mémoire de ce créateur qui a imaginé plus de 500 parfums, les premières bougies parfumées qui ont marqué les esprits – inspirées des pots-pourris chers aux Britanniques – ont été développées en France dans les années 1960. «Les bougies Rigaud étaient dans tous les salons chics de l’époque, avec leurs deux coupelles en argent qui se mettaient l’une sur l’autre.

L’objet était aussi important que son odeur. Viviane et Mario Rigaud, dans leur boutique parisienne à l’ambiance de boudoir, avaient développé une formule de cire molle dont la caractéristique principale est de révéler la richesse des extraits naturels qui composent les parfums Rigaud», poursuit-il.

Leur première création, la bougie Cyprès, de couleur vert foncé, dans un verre soufflé à la bouche, s’est exportée rapidement jusqu’à la Maison-Blanche au temps de Jacqueline Kennedy. Dans les années 1970, d’autres bougies suivent – Cythère, Tournesol, Gardénia, faisant la une des magazines de décoration. Diffusée désormais dans plus de 30 pays dans le monde, la collection Rigaud est 

restée une référence pour les connaisseurs et les demeures d’exception. En témoigne une liste de clients prestigieux, tels que le prince Albert de Monaco, le prince Charles d’Angleterre, le Vatican et même le Quai d’Orsay.

DES BOUGIES D’ÉMOTION

L’autre pionnier français du genre est Diptyque. Ce bazar chic de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, où trois bougies parfumées attirent l’attention en 1963 – Aubépine, Cannelle et Thé. Depuis les années 2000, près d’un demi-million de pièces sont fabriquées par an selon des senteurs thématiques: florales, boisées, épicées, fruitées, herbacées. «Diptyque a toujours créé des bougies d’émotion qui séduisent l’élite épicurienne. Le figuier sent vraiment comme l’arbre. Ce n’est pas simple, car derrière la flamme repose toute une technique pour assurer une combustion et une diffusion optimales», poursuit Alberto Morillas, qui a fondé avec sa femme la marque de bougies parfumées artisanales Mizensir en 1999, aujourd’hui dirigée par leur fille Véronique.

Dopé aux parfums subtils jusque dans sa maison de Vandœuvres, le nez avait pris l’habitude de créer ses propres cires parfumées. Lors d’un dîner chez les Morillas, Patrick Firmenich – alors à la tête de l’entreprise genevoise spécialisée dans la création d’arômes et de parfums – et son épouse s’émerveillent de l’ambiance olfactive qui y règne. «Très visionnaire, il m’a proposé de créer une bougie en guise de cadeau d’entreprise pour le Noël qui suivait. Le succès a été tel que nous avons commencé à en vendre. C’est ainsi qu’est née Mizensir, jeu de mots de la mise en cire, en clin d’œil au titre de noblesse britannique», relate le fondateur qui a mis au point une centaine de références, fabriquées à la main dans un atelier genevois. Parmi elles, une bougie vient d’être conçue par le parfumeur pour Le Temps. Le bénéfice des ventes sera versé à l’ONG Race for Water, qui lutte pour la préservation des océans.

 

LE MAGAZINE DU TEMPS 12/10/19

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